"La conversation amoureuse" de Alice Ferney * * * *

Dès le début du livre, on est surpris par la belle écriture et le propos très intime : un homme, Gilles, a rendez-vous avec une femme, Pauline ; il est plus âgé qu'elle et ils sont mariés, chacun de leur côté. Ce rendez-vous, alors que leurs conjoints participent à un dîner entre amis du club de tennis de la ville, se passe un soir de juin, au moment où chaleur et lumière diminuent ; les premières pages sont enchanteresses. Il l'a remarquée et intensément regardée à l'école où elle accompagne son fils chaque matin ; lui emmène sa fille, mais sa femme demande le divorce : il aime trop les femmes, trop de femmes. Et petit à petit au cours du repas, de sa voix "d'alcôve" il va séduire Pauline ; inlassablement l'auteur scrute, détaille tout ce qui se passe entre eux et en chacun d'eux : jeux de la séduction pour lui, coquetterie et troubles pour elle. Ils tombent dans un émoi amoureux et une affinité sensuelle exceptionnels. Et en même temps, la suite montrera qu'ils sont aussi à des années-lumière l'un de l'autre. Nous suivons aussi le devenir des autres couples - amis - qui gravitent autour d'eux, avec leurs problèmes de vie, de mariage ou d'enfant... L'ensemble forme un texte fort, intelligent, prenant, très réussi !

Premières phrases : "Un couple de futurs amants marchait, au milieu de la chaussée, dans une rue piétonne, un peu avant l'heure du dîner. Les couleurs du soir tenaient la ville dans un feu."

Comments

[Bernard P]

Le titre donne une clé : conversation. On est sur le terrain des grands classiques sur la passion et la séduction, dans cet esprit français de la conversation où les bistrots ici succèdent aux salons. L’époque a changé depuis la Princesse de Clèves, qui permet à l’auteur et au lecteur, sur le même sujet de penser en dehors d’une morale sociale amidonnée sur le couple – et de mieux retrouver l’essentiel du jeu amoureux et sa morale « kantienne ». L’originalité ici (on pense aussi à Belle du Seigneur) réside dans le style, l’entrelacement polyphonique des phrases et des pensées qui évoque le Tristan et Isolde de Wagner (il est plusieurs fois question du philtre amoureux) et qui crée un effet d’envoûtement; mais aussi le mosaïquage des couples et des histoires à la Perec. Petit bémol : les personnages, hommes et femmes, et les couples, manquent d’épaisseur – ils ne sont que prétextes à la pensée – et sont un peu stéréotypés.