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Les 2 bouquineuses ont aimé
6 mai 2015

"Le ravissement des innocents" de Taiye Selasi * * * * (Ed. Gallimard ; 2014)

ravissementC'est Kweku qui parle du "ravissement des innocents" : "le garçon était animé d'une gaieté indomptable, une qualité que Kweku n'avait remarquée que chez les enfants vivant dans la misère à proximité de l'équateur : la faculté instinctive de se moquer du monde tel qu'il est, d'y trouver matière à rire, un enthousiasme inextinguible devant tout et rien, inexplicable étant donné la situation. La situation les amuse."

Quand le livre s'ouvre, Kweku Sai, cinquante cinq ans, médecin chirurgien qui a fait ses études aux USA et y a exercé, se lève un matin, très tôt, sans faire de bruit pour ne pas déranger sa seconde épouse ; il arrive, pieds nus dans le jardin de la belle maison qu'il a fait construire à Accra, au Ghana et meurt d'un infarctus.
C'est un homme qui est constamment accompagné d'un cameraman invisible qui filme sa vie ou la vie de l'homme qu'il veut être, c'est un homme donc qui se regarde vivre. De quoi meurt-il exactement ? Ce père de famille de quatre enfants, victime d'une terrible injustice dans l'hôpital américain où il travaillait, revoit son passé et surtout son grand amour, sa première femme Folasadé, la mère de ses enfants, dont il se demande encore, seize ans plus tard pourquoi il l'a quittée.

C'est une saga, celle d'une famille ébranlée par plusieurs évènements qui la disloquent ; Olu, le fils aîné, raisonnable et sérieux, est chirurgien comme son père, aux Etats Unis ; les jumeaux magnifiques et surdoués Taiwo la rebelle et Kehinde l'artiste peintre, qui auparavant étaient si soudés se sont fâchés et le vivent mal ; ils n'habitent pas loin l'un de l'autre mais ne le savent pas. Et enfin Sadie, le "bébé", presque morte à la naissance parce que très prématurée, se croit moins douée que les autres et souffre d'un complexe d'infériorité. La mort du père, son enterrement au Ghana auquel tous viennent assister permettront-ils aux membres de la famille de trouver la force de se ré-unir ? Et celle de révéler quelques secrets?

L'écriture est très belle : rafinée, poétique, très originale ; le récit se lit et s'écoute comme un chant, puissant et majestueux. Taiye Selasi est une conteuse extraordinaire et elle a écrit un livre superbe !

Premières phrases : "Kweku meurt pieds nus un dimanche matin avant le lever du jour, ses pantoufles tels des chiens devant la porte de la chambre. Alors qu'il se tient sur le seuil entre la véranda fermée et le jardin, il envisage de retourner les chercher. Non. Ama, sa seconde épouse, dort dans cette chambre, les lèvres entrouvertes, le front un peu plissé, sa joue chaude en quête d'un cion frais sur l'oreiller, il ne veut pas la réveiller. Quand bien même il le tenterait, il n'y parviendrait pas. Elle dort comme un taro. Un tubercule privé de sensations. Elle dort comme la mère de Kweku, coupée du monde. Des Nigérians en sandalettes déboulant devant leur porte dans des chars russes rouillés pourraient dévaliser leur maison, sans la moindre discrétion, ainsi qu'ils y ont pris goût à Victoria Island (d'après ses amis en tout cas : grossiers rois du pétrole et cow-boys démobilisés dans la mégapole de Lagos, cette bizarre race africaine : intrépide et riche), elle continuerait à ronfler mélodieusement, on dirait une composition musicale, à rêver de bonbons et de Tchaïkovski."

Décidément il y a de jeunes écrivaines africaines très intéressantes ; à découvrir avec beaucoup de bonheur !
(Voir précédemment "Americanah" de Chimamanda Ngozi Adichie)

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Commentaires
B
Oui, beau récit et belle écriture, l'auteure fait parti de cette classe d'écrivains, souvent grands, qui broient le langage, pour, justement, ne pas "réciter". Cela vient-il de sa culture africaine, avec le prisme de la traduction de l'anglais au français ? Intéressant en tous cas.
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