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Les 2 bouquineuses ont aimé
4 décembre 2016

"Hérétiques" de Leonardo Padura * * * * (Ed. Métailié ; 2015)

41PZzfja_wLTrès beau livre de l'écrivain cubain Leonardo Padura, déjà connu comme journaliste et auteur de romans, policiers (mais pas que... les livres de L. Padura sont bien plus que ça !), mettant en scène, en particulier, les enquêtes de Mario Conde, un flic désabusé aux intuitions fulgurantes, un homme qui fréquente le "Bar des désespérés", un ami et un amant très fidèle.
Ici, Mario Conde qui a démissionné depuis un certain temps de la police et exerce le métier plus qu'aléatoire de revendeur de livres anciens, traîne une terrible galère (la misère à Cuba, c'est quelque chose !) quand un homme vient lui proposer de faire des recherches pour lui ; cet homme s'appelle Elias Kaminsky, il est juif, peintre, et cherche à comprendre l'histoire d'un tableau dont lui avait parlé son père, Daniel Kaminsky, tableau qui était dans la famille depuis longtemps, avait disparu quelques dizaines d'années et vient de réapparaître lors d'une vente aux enchères à Londres. Cette toile signée Rembrandt, qui vaut une fortune, représente un jeune juif ou le Christ, sans doute une étude effectuée par le grand peintre pour sa toile "Les pélerins d'Emmaüs".

La famille Kaminsky était originaire de Cracovie, et un oncle de Daniel s'étant installé à Cuba dans les années 1930, le père du petit garçon l'a envoyé en avant garde ; les parents et la petite soeur de Daniel devaient le rejoindre rapidement mais en 1939 leur bateau - cet épisode de l'Histoire est incroyable et extrêmement bien raconté ! - chargé de plus de neuf cent juifs fuyant le nazisme fut refusé à Cuba, puis aux USA et au Canada... Daniel ne revit jamais sa famille, sauf l'oncle Joseph qui l'éleva du mieux qu'il put. Le tableau lui, resta à Cuba, il avait sans doute été donné - mais à qui ? - pour monnayer le débarquement des Kaminsky...

Il y a trois grandes parties dans ce livre dense, humainement et historiquement passionnant : le "Livre de Daniel", les juifs à Cuba avant la révolution castriste donc avant 1959, le "Livre d'Elias", l'histoire d'un jeune juif séfarade initié à la peinture par Rembrandt dans les années 1640-1650, et enfin le "Livre de Judith" la recherche par Mario Conde d'une jeune fille "emo" à La Havane de nos jours ; avec comme fil rouge, le tableau de Rembrandt représentant sans doute le Christ.

Leonardo Padura a voulu, dans ces trois parties, mettre en valeur les "hérétiques", ceux "qui pourraient avoir la témérité de penser d'une façon différente de celle qu'avaient décrétée les puissants chefs de la communauté, détenteurs selon la tradition, des uniques interprétations admises de la Loi" (p 278) et d'une façon générale ceux qui s'éloignent des opinions communément admises ; comme Rembrandt : "Quand je me suis cru libre et que j'ai voulu peindre comme un artiste libre, j'ai rompu avec tout ce qui est considéré comme élégant et harmonieux, j'ai tué Rubens et j'ai lâché mes démons pour peindre "La compagnie du capitaine Cocq" ("La ronde de nuit") pour les murs du Kloveniers. Et j'ai reçu le juste châtiment pour mon hérésie : plus de commande de portraits collectifs, car le mien était un cri, une éructation, un crachat..." (p 310)

Beaucoup de très beaux passages dans ce récit, de ceux qui transportent et émeuvent pour longtemps le lecteur ; l'un des plus réussi : quand le jeune séfarade Elias Ambrosius veut devenir peintre, qu'il guette les portes et fenêtres du Maître (Rembrandt) et fait intervenir un de ses anciens professeurs pour l'approcher ; le jeune juif de dix-sept ans réussit à émouvoir le Maître qui l'engage comme serviteur pour qu'il puisse observer et se faire sa propre idée. Or les juifs n'avaient pas le droit de représenter des humains et des animaux mais le jeune Elias est prêt à encourir les foudres des rabins : "Je crois que je veux peindre uniquement parce que j'aime ça. Je ne sais pas si j'ai un don, mais si Dieu me l'a donné, c'est sûrement pour quelque chose. Le reste dépend de ma volonté, qui est aussi un don de Dieu..." (p 271)

Leonardo Padura est un écrivain très doué pour reconstituer les atmosphères, que ce soit l'atelier de Rembrandt en 1640, un café cubain dans les années 80, ou la rue G de La Havanne de nos jours où traînent les jeunes gothiques, emo et rockeurs...

Par petites touches, il nous parle de la chaleur, humide, étouffante, difficile à supporter de l'îe de Cuba, et de la situation politique et sociale plus que catastrophique ; mais aussi de la judéité et de la liberté bien sûr !

Un gros bouquin passionnant, une érudition remarquable, de la très belle littérature !

 

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