"La leçon d'allemand" de Siegfried Lenz * * * * * (Ed 10/18 ; première parution 1968)
Mais quel grand bonheur de lire un livre comme celui-là ! Un bonheur bien trop rare de rencontrer cette littérature qui sort complètement de l'ordinaire, qui comble le lecteur d'une joie sans pareille.
Une île sur l'Elbe, tout au nord de l'Allemagne, dans un établissement pour "jeunes délinquants" : le jeune Siggi Jepsen, dont on ne comprend que bien plus tard ce qu'il fait là, est puni parce qu'il a rendu feuille blanche à son devoir d'allemand. Le sujet : "Les joies du devoir" ; pourtant il sait ce qu'il peut écrire, l'histoire de son père correspond exactement. Mais comment mettre de l'ordre dans toutes ses pensées, par où commencer ? Pris par le temps de la réflexion, Siggi n'a pas celui de rédiger. Alors il est enfermé dans une chambre-cellule pour faire ce travail-punition.
1943 sans doute, son père est le représentant local de la police ; de Berlin, un jour, est arrivé un ordre qu'il doit transmettre. Le peintre Max Ludwig Nansen n'a plus le droit de faire des tableaux. Le policier Jens Ole Jepsen - père du narrateur - est ami d'enfance du peintre, mais son devoir est d'appliquer les ordres ; il ira jusqu'à confisquer des feuillets blancs où l'artiste Max Nansen aurait pu peindre de l'invisible...
A travers le narrateur Siggi, son frère Klaas qui s'est volontairement blessé pour ne pas faire la guerre, le père rigoriste et la figure un peu mystérieuse de la mère - en tout cas vue ainsi par l'enfant d'alors - c'est tout un monde, une époque, des gens, une façon de vivre dont nous parle l'auteur ; l'histoire dans son ensemble est indirectement liée à la guerre et dépasse de beaucoup les circonstances de ce conflit.
En parallèle, il y a ce qui se déroule dans l'institution, les responsables qui veulent arrêter la punition au bout d'un certain temps, mais Siggi a tant à dire qu'il doit terminer ce qu'il écrit ; le surveillant, Joswig, celui qui souffre autant que les punis, assure une sorte de réconfort et d'humanité ; et il y a une délégation de psychologues en visite dans l'établissement, dont un, Wolfgang Makkenroth, prend le cas de Siggi comme thème de son rapport pour son diplôme, ce qui fournit un éclairage supplémentaire et un recul intéressants sur la conduite de Siggi par rapport à l'obsession de son père, empêcher le peintre de peindre ou confisquer ses oeuvres, même après la fin de la guerre.
Il y a des pages - beaucoup - absolument magnifiques sur la peinture, sur l'enfance et la façon dont elle perçoit les adultes et sur le fait d'écrire, le travail d'écrivain ; la mer du Nord, ses digues, le vent fort sont aussi des personnages à part entière du récit.
Un superbe "classique" allemand, à lire absolument !
Extrait (p 40) "... Ces fous-là ; comme s'ils ne savaient pas que c'est impossible : interdiction de peindre. Sans doute, avec de tels moyens on peut faire beaucoup de choses et on peut en empêcher beaucoup d'autres ; mais pas toutes : on ne peut pas empêcher quelqu'un de peindre."