"Histoire du fils" de Marie-Hélène Lafon * * * * ( Ed. Buchet Castel ; 2020)

Quelle écriture, mais quelle écriture ! Un français superbe ! On a déjà lu la plume de M. H. Lafon, évocatrice et précise sans être exagérément travaillée, dans "Joseph" par exemple, mais là, cette auteure fine, profonde et plutôt discrète atteint des sommets ; réussite totale, et de la narration de son histoire, et du style choisi pour la raconter. Son domaine, ce sont les mots, on sent qu'elle aime employer le terme juste, celui qui a exactement sa place dans la phrase qu'elle construit ; elle est l'architecte très douée de la parole écrite.

Ce qu'elle raconte : les gens, les caractères, les comportements, l'essentiel de la vie humaine ; une famille, plusieurs générations, l'appartenance à une terre, les terribles malheurs parfois et les heureux évènements qui marquent, les incompréhensions et les colères qui rongent, le programme d'ascension sociale imposé par la société... et les échos du passé qui parcourent toutes les familles.
M. H. Lafon a le pouvoir de nous faire ressentir à nouveau ce que nous avons vécu, et que nous n'avons pas oublié.

Un père inconnu, fantôme, une mère parisienne éprise de liberté, "à double fond", leur fils, André, qui est élevé par sa tante et les trois filles de celle-ci ; mais pas de tristesse ni d'aigreur, son enfance est heureuse... Extrait (p 66) : " Il entend son prénom jeté dans l'air, c'est Claire, elle l'appelle, plusieurs fois ; elle dit, tu viens Dadou on va se baigner au Jaladis, viens. La joie bondit dans ses os, il lâche le portail, le platane, le piano de Gabrielle, le train et la gare. Il a dix ans et c'est l'été pour toujours. Claire l'appelle. Les trois filles fileront sur leurs vélos, Hélène aussi. Claire le prendra sur son porte-bagages, elle passe toujours devant les autres, ils glissent dans la lumière qui les avale."
Un jour, à presque 40 ans, André aidé par Juliette sa femme, commence à "flairer les traces de son père"; mais est-ce vraiment important de connaître cet homme, alors qu'il a été élevé par Léon, le meilleur des pères ?

Un texte soigné, délicat, tout en subtilité et bouleversant ; de 1908 à 2008, entre Aurillac, Paris et un petit village du Cantal, l'histoire d'une lignée familiale construite par tableaux, avec silences, secrets de famille, mais aussi attachements et soutiens infaillibles.
Un très beau livre !