"Ainsi croît l'yeuse" de Hélène Toulhoat * * * * (Ed. du Net ; 2021)

Ouvrez ce livre et partez pour un autre monde, un autre temps : milieu du XIXème siècle, un domaine provençal où habite une famille ruinée, les de Chavagne ; il n'y a plus guère que la vieille marquise Paulina sur place, avec des domestiques, et une cousine, Marie de Vassan, soit disant vieille fille d'une quarantaine d'années, qui habite tout près.
L'intendant, Fortuné Cigalon, a petit à petit racheté les différentes parties du domaine du Castelet pour le rendre à celui qu'il considère comme le propriétaire légitime, Pierre de Chavagne, dernier descendant de la lignée. Paulina, véritable femme dragon, imbue de sa personne et de son rang, impose sa volonté capricieuse à la maisonnée ; aigrie par un mariage malheureux, elle refuse de croire à la bonne foi de son intendant et est aussi suspicieuse que méchante.
Madeleine, la fille unique de Fortuné Cigalon, lui sert plus ou moins de dame de compagnie ; cette adorable jeune fille subit la tyranie de celle qui la prend pour une simple domestique.

Quand Pierre de Chavagne, qui vit à Paris depuis une dizaine d'années avec Cora, une femme indépendante et libre, se voit rejeté par celle-ci sans explication, il revient dans la demeure familiale auprès des siens ; Madeleine tombe immédiatement amoureuse de lui, un mariage arrangerait tous les problèmes financiers ; mais Paulina ne peut accepter que son petit-fils épouse la fille de l'intendant, cette mésalliance l'ulcère au plus haut point...

A chaque début de chapitre, se trouve un extrait du journal de Marie de Vassan, bonne amie de Cigalon et conteuse d'une partie de l'histoire. C'est elle qui met en scène les péripéties et qui est à l'origine de la découverte des vilenies de certain.e.s...

Ce que l'auteure réussit parfaitement c'est une intrigue passionnante dans un décor superbement recréé ; historienne, Hélène Toulhoat ressucite la vie de cette époque de façon vive et intéressante, et il est à parier que vous quitterez cette histoire fort bien écrite à regret...

Extrait : " Trois quarts d’heure après, Fortuné Cigalon sortait de chez Madame de Chavagne, avec l’impression d’avoir été roulé pendant des heures dans le gravier, l’eau glaciale et les tourbillons fous d’un torrent de montagne. Il s’enfonça dans le parc, loin de la bastide, là où des platanes centenaires, serrés en un étroit bosquet, conféraient aux sentiers qui sinuaient entre eux des allures de chemins féériques. Pas un son du monde extérieur n’y parvenait ; à peine entendait-on quelques trilles lancés par un oiseau que l’on eût dit enchanté, ou bien de légers froissements provoqués par la fuite rapide de quelque bête rampante. L’endroit idéal pour remettre ses idées en ordre, jugea Cigalon.
L’entrevue avait débuté par un déluge de récriminations à l’encontre de Madeleine. Elle avait un air hautain, ou bien par trop naïf ; elle n’était pas assez prompte à obéir aux ordres ; elle ne semblait pas encore connaître à la perfection les habitudes de Madame de Chavagne ; elle était trop jolie, donc certainement coquette et frivole… Désemparé et consterné, Cigalon avait proposé que sa fille fût logée ailleurs que chez Madame, à quoi cette dernière avait répondu avec aigreur qu’elle parviendrait bien à la rendre docile, à force de surveillance et de remontrances. Cigalon n’ignorait pas que la vraie raison en était un souci d’économie : en tant que fille de l’intendant, officiellement promue au rang de demoiselle de compagnie, Madeleine servait officieusement de femme de chambre sans percevoir aucun gage. (p 5)