" J'aimerais faire la paix avec toutes celles que j'ai été. Même celles dont le souvenir m'est le plus douloureux. Ne pas les fustiger ni les dissimuler. Être capable de me dire, oui, je suis aussi celle-là, même si elle me gène ou me peine. Admettre l'étrangère en moi qui s'obstine, bizarre et contrariante. Accepter, finalement, de ne pas se comprendre. (p 163)
C'est un livre de pensées, de réflexions que nous propose cette fois Lola Lafon ; sur la vie, sur chacun ou chacune d'entre nous, sur les événements politiques, le féminisme, la maternité, sur ce qui nous enthousiasme ou nous dégoute, sur ce qui a fait l'actualité des années 2023-2024.
Tout est intéressant, tout est passionnant dans ce que dit l'autrice, et même si nous ne sommes pas forcément du même avis, les questions posées sont pertinentes et les réponses apportées amènent à la réflexion et à la discussion... Très bon texte pour un groupe de lecture !
Le titre - une inscription lue sur un mur - lui-même propose différentes interprétations ; celle de l'autrice est : même si tout ne va pas très bien, continuons d'espérer et de se battre, osons, la vie en vaut la peine !
Un livre d'une grande richesse, un regard affuté posé sur nous et notre époque, souvent émouvant, toujours original !
Au centre du roman, un lieu extraordinaire qui existe vraiment : un rucher, et ses abeilles. Ce rucher, c'est "le rucher du Saint" le plus ancien rucher collectif du monde, situé dans le Haut-Atlas, dans le sud du Maroc ; les abeilles, elles sont jaunes, noires ou hybrides, elles fabriquent plus ou moins de miel et chaque famille du village d'Inzerki dispose d'emplacements hérités de père en fils. Dans le temps, il y avait là le bourdonnement incessant de milliers d'abeilles, mais, la chaleur et la sécheresse gagnent et il n'y a plus beaucoup de fleurs à butiner...
Le livre débute sur des cris, ceux d'un tout petit, malade, que sa mère ne réussira pas à sauver...
" L'obscurité est là. Les cris aussi. Des cris qui ne lui ressemblent pas, des convulsions qui effraient la mère, accélérant le rythme de ses pas dans cette pièce aux murs immenses. L'enfant est dans ses bras, bercé par cette mélodie qu'il aime pourtant, qui l'a tant de fois apaisé. Ses sanglots font dérailler la voix, d'ordinaire douce, en phase avec la respiration. Plus le nouveau-né se crispe, hurle, plus sa gorge à elle s'assèche ; le rythme s'affole et l'harmonie de la berceuse se brise sur les spasmes du garçon."
Le personnage central, un jeune garçon d'une dizaine d'année, Anir, est élevé par son grand-père Jeddi, puisque sa mère n'en est pas capable - devenue comme indifférente, vivant recluse - et que son père est parti à la ville, Agadir, pour trouver du travail et ne plus être face à sa femme qu'il aime mais n'a jamais comprise. Elle est venue d'un village situé sur l'autre versant de la montagne.
Le grand-père apprend à Anir le nom des vents, comment s'occuper des abeilles et du potager, il lui apprend les fleurs et les herbes, et surtout, il lui raconte des histoires, en particulier celle de la création du rucher à l'emplacement du Taddart par le saint Sidi Mohamed Elhoucine, il y a bien longtemps.
Anir ne sait pas ce qui est arrivé à sa mère, pourquoi parfois elle crie, surtout au crépuscule, et pourquoi tous les autres au village en ont peur et disent qu'elle est possédée.
Il faudra bien que son père lui raconte, un jour, lui explique ce qu'il s'est passé...
Profondément belle, mélancolique et poétique, ancrée dans une terre dont on ressent la couleur, une terre passée du rouge à l'ocre puis au blanc avec le réchauffement du climat (comme les titres des trois parties du livre) et la sécheresse en la lisant, cette histoire d'un femme devenue folle de chagrin, de sa famille et de son environnement en train de disparaître, est très émouvante, parfois éprouvante ; une très belle lecture !
C'est un livre charmant, très agréable à lire, beaucoup plus profond qu'il n'en a l'air à première vue : le choix d'une existence paisible par Hatoko visiblement douée pour le bonheur et la survenue de deux amours - un enfant et un homme - dans sa vie, lui assurent un quotidien et un avenir très satisfaisants !
Elle est heureuse cette jeune femme, et pourtant tout n'a pas toujours été facile : orpheline, élevée par une grand-mère sévère et peu encline à la tendresse, elle a su prendre le meilleur de cette éducation à la dure. Elle a hérité de la papeterie Tsubaki ( Lire "La papeterie Tsubaki" de Ogawa Ito) où elle exerce le métier d'écrivain public qui lui fait faire de nombreuses rencontres variées et côtoyer des situations originales et étonnantes : elle doit écrire pour la femme qui veut se séparer de son mari et... concocter une réponse quand le mari vient la voir à son tour, ou un jeune malvoyant veut faire comprendre à sa mère qu'il peut se débrouiller seul, ou encore un jeune couple souhaite faire calligraphier des cartes de voeux funéraires pour leur bébé décédé...
Hatoko, naturellement sensible, a ainsi développé une grande compréhension, mais aussi pas mal d'humour : elle appelle ses client(e)s madame Bernard l'hermine, monsieur Richard (presque) Gere...
Fait de nombreuses anecdotes et petites tranches de vie, ce texte nous raconte une année d'une jeune japonaise respectueuse des traditions, attentive aux autres, voyant toujours le bon côté des choses ; l'autrice a un parti pris de douceur, de délicatesse et de bienveillance ce qui donne un livre raffiné et plutôt joyeux, un très agréable moment de lecture.
Premières phrases : " Parfois, la vie change en un clin d'oeil. Mitsurô m'a portée sur son dos et moins d'un an après, nous nous sommes mariés. Au début, il n'avait été pour moi qu'une relation indirecte, le père de QP, avant de devenir un nom propre, Monsieur Morikage, puis un beau jour, tout simplement Mitsurô. Chaque fois que je prononce son prénom pour moi, une goutte de miel sucré coule sur mon coeur et je m'émerveille - Mitsurô, "l'enfant du miel": ça lui va comme un gant."
Le roitelet, frère du narrateur, est atteint de schizophrénie depuis sa jeunesse ; ces deux-là sont les seuls qui restent du noyau familial, leurs parents sont morts mais cependant assez présents dans le récit, et on sent que leurs vies d'enfants furent tendres, entourés de parents aimants et attentifs.
L'auteur, cet homme d'une soixantaine d'années qui vit à la campagne (québécoise) avec sa femme Livia et leurs deux compagnons Pablo le chien, Lennon le chat, connaît bien son frère ; et il nous fait pénétrer dans ses pensées, ses réflexions, ses peurs et ses visions terrifiantes grâce à leurs discussions.
La vie est compliqué pour ce schizophrène - " du grec skhizein (fendre) et phrén (esprit)" - l'auteur considère qu'un coup de hache a fait voler en éclats un jour l'existence de son frère.
J. F. Beauchemin parle de lui-même également, de son existence d'écrivain, des questions qu'il se pose sur comment l'être humain peut habiter le monde et en particulier le monde actuel, souvent violent et irréfléchi ; il aimerait qu'on écrive sur sa tombe : " il a beaucoup aimé ses parents, son frère et sa femme, a fait deux fois le tour de la terre à pied avec son chien, a écrit des livres, puis il est mort."
Faits de nombreux petits chapitres brefs, comme autant de moments vécus et pensés, de rencontres avec des humains et des animaux, ce récit enchante extraordinairement.
C'est un livre passionnant, profondément humain et très bien écrit !
Un texte intelligent, magnifique, plein de profondeur et d'amour. Superbe !
Extrait p 61 : " À la maison familiale, je m'émerveillais de ce petit frère épatant, imprévisible, tendre, énigmatique, provocateur, sérieux, savant et comme secoué d'inquiétude, que j'allais la nuit tirer d'un sommeil agité, empoisonné par ces images effrayantes qui déjà commençaient à le hanter. Nous quittions notre chambre pour aller passer de longs moments couchés dans les champs, à suivre la trajectoire des astres, à dessiner dans nos cahiers la courbe elliptique de l'un ou l'autre corps céleste, à cartographier ce firmament dont le mystère nous éblouissait et nous laissaient pour ainsi dire suffoqués de bonheur."
Grand prix du roman de l'Académie française
Prix Honoré de Balzac
Ce formidable roman, écrit par un essayiste et conseiller politique d'origine italienne et suisse, a été terminé en janvier 2021... donc un an avant l'invasion de l'Ukraine.
S'appuyant à la fois sur l'Histoire récente de la Russie, mais aussi visionnaire d'un avenir inquiétant, l'auteur montre une façon d'appréhender les choses du monde dans ce grand pays, très différente de celle de l'occident...
Le narrateur, a rencontré Vadim Baranov par l'intermédiaire d'un réseau social et, invité chez cet ancien conseiller du "Tsar", il se fait raconter la vie et l'oeuvre de l'homme de pouvoir qu'il fut pendant une quinzaine d'années.
Arrivé un soir tard, il découvre une maison magnifique à l'écart de Moscou - la résidence d'un oligarque - de nombreuses pièces chargées d'une profusion de meubles marquetés et de candélabres allumés, des domestiques, beaucoup de livres ; la discussion durera toute la nuit avec ce petit-fils d'un aristocrate déchu, grand amateur de chasse.
Partis du constat que l'élite soviétique ressemblait beaucoup à la vieille noblesse tsariste, les deux hommes évoquent le Moscou des années quatre-vingt, les amours de Baranov et de Ksenia, et toute la montée en puissance du nouveau dictateur russe.
Baranov fut d'abord artiste et producteur de télévision avant d'être propulsé - parce qu'il sait ce qu'est un spectacle ! - directeur de campagne électorale, et éminence grise de Vladimir Poutine.
Venu après Gorbatchef et Eltsine, Poutine, l'ancien du FSB - ex KGB - rétablit la "verticale du pouvoir", s'attaque aux problèmes de la Tchétchénie, de l'Afghanistan, devient assez rapidement l'homme puissant qui règne sur un immense empire ; annexion de la Crimée, jeux olympiques de Sotchi, guerre en Ukraine, le lecteur captivé s'instruit sur les coulisses et se rend compte de l'ampleur du danger...
Ce texte bien écrit apporte un éclairage intelligent et passionnant sur la géopolitique russe actuelle et l'influence importante qu'a pu avoir Vladislav Sourkov (le vrai nom du mage du Kremlin) sur les décisions du Tsar et les arcanes du pouvoir...
Extrait : " Baranov avançait dans la vie entouré d'énigmes. La seule chose plus ou moins certaine était son influence sur le Tsar. Durant les quinze années qu'il avait passé à son service, il avait contribué de façon décisive à l'édification de son pouvoir. On l'appelait le "mage du Kremlin", le "nouveau Raspoutine". À l'époque, il n'avait pas un rôle bien défini. Il se manifestait dans le bureau du président quand les affaires courantes avaient été expédiées." (14)
"Qu'est-ce qui m'attend, vraiment, tout au bout de cette route ? Qui sont ces gens qui vivent si loin de nous ? L'Administration des Ressources Humaines et Naturelles s'est contentée de me faire parvenir les formulaires papier que je devrai remplir pour mon stage, lesquels ne disent rien sur les dangers qui sont censés me guetter, hors Mur." (p 59)
Au début du livre, c'est Thalie, la narratrice : pour la première fois de sa jeune vie - elle a 16 ans - elle peut aller avec sa mère, Sandrine, et d'autres femmes, dans le Nord, faire des plantations pour reboiser, recréer les forêts qui ont été massacrées.
La vie sur Terre est organisée de façon différente de celle que nous connaissons encore en 2025 : il s'agit ici d'une dystopie, et la cité de Sainte-Foy (Québec) est limitée par le Mur, infranchissable, surveillé nuit et jour par des gardes et des drones... Le ciel est toujours gris, les nappes phréatiques sont contaminées par les cimetières des anciennes batteries, et il faut se protéger des pluies acides ; il n'y a plus "un espace de liberté, les murs ont littéralement des oreilles et le ciel des sentinelles"...
Mais Thalie a été endoctrinée, elle se dit elle-même fille du Système :
" C'est mieux comme ça, sans doute. L'obsession de repousser sans cesse les frontières de son habitat, c'est ça qui a mené notre Civilisation jusqu'à la Sixième Extinction... Le Mur a été érigé pour nous protéger de nous-mêmes." (p 19)
Folle de joie mais triste de laisser son père chéri, elle part avec sa mère - dont elle dit qu'elle est une grande inconnue - dans la Nature sauvage et découvre qu'une autre existence est possible.
Deuxième partie du livre : cette mère que l'on a découvert à travers les yeux de Thalie devient la narratrice ; Sandrine a un passé difficile dont elle n'a jamais vraiment parlé...
Les femmes, leurs fragilités et leurs forces, la maternité, la solidarité féminine sont omniprésentes dans le récit ; c'est grâce à elles qu'il y a de l'espoir, à travers une sonorité très inspirante.
Sandrine, et son mari Gabriel sont inquiets de leur avenir et préparent en grand secret une évasion : leur rêve, sortir de la cité de Sainte-Foy et " rejoindre un hameau nordique, un de ces anciens villages bûcherons abandonnés puis repeuplés par des vagues successives de migration. Selon les rumeurs, on y vivrait bien." (p 258)
Entre les chapitres racontés par la fille puis par sa mère, s'insèrent des paragraphes qui racontent l'existence d'une femme "sauvage", libre, Hexa dont on comprend qu'elle attend un bébé "non autorisé". Elle n'a pas de puce et risque d'être arrêtée, stérilisée, emprisonnée.
Tout l'enjeu du récit est de savoir qui va s'en sortir et comment ; l'amour conjugal et familial, l'amitié entre femmes, la résistance à la dictature aveugle sont servis par une magnifique écriture.
Un très beau livre, écrit par une passionnée de Nature, inquiète de ce qui pourrait advenir si l'humanité continue de ne pas penser à ce qu'elle fait de ce qui l'entoure et l'accompagne...
Il y a d'autres vivants que les humains sur notre planète, laissons-leur de la place ! Ne détruisons pas notre environnement, nous risquons de le payer très cher !
Extrait p 87 : " Brahim n'a rien cédé, tiré la trombine jusqu'au bout et maman, têtue, s'est autorisée à ne pas finir son assiette. Match nul. Que c'était bon, ce culot, que c'était beau, cette guerre où, pour une première fois, j'étais un lieutenant à la hauteur. Délire. C'est ma mère, Brahim, pas une image d'Épinal, et la gentillesse chez elle va de faible à modérée, c'est ce que j'aurais aimé lui dire..."
C'est le décès du père de l'un de ses amis qui décide le narrateur, Slimane,cinquante ans, à renouer avec sa mère, une femme odieuse et insupportable que ses enfants n'arrivent plus à aimer... Famille d'origine kabyle installée en France depuis que le père est venu y travailler, ses différents membres qui ont évolué fort différemment n'ont plus grand chose en commun. Mais à défaut d'avoir de vrais frères et soeurs, Slimane considère qu'ils peuvent au moins accompagner leur génitrice pour ses dernières années. Et c'est ce parcours que nous raconte Magyd Cherfi dans une langue truculente, un français savoureux mêlé... d'autres choses, qui fait souvent sourire ou même rire aux éclats ! C'est que cet auteur ose dire ou plutôt écrire ce qu'il pense, et sans filtre : sa colère contre une certaine France, mais aussi contre le père violent qui a frappé fort sa femme et ses gamins, son envie de vivre tranquille, tout seul, par moments seulement, parce qu'il adore sa femme, ses fils et son pote Boris, ses émotions de toute sorte face à cette mère terrible mais qui a beaucoup souffert...
Il y a des scènes très drôles, la consultation du rhumatologue, l'achat du soutien-gorge et des baskets par exemple ; et souvent des scènes très émouvantes parce que très sincères.
Slimane essaie de réunir la famille pour soutenir cette femme souffrante et désagréable. Mais elle va leur échapper, cette histoire est celle d'une résilience, d'une sorte de reprise en main de sa propre vie, un envol vers la liberté, à partir du moment où elle est opérée et souffre moins...
C'est un très beau texte, qui frappe par son écriture très évocatrice et par sa franchise ; cette honnêteté de description des sentiments qui traversent la vie de cette famille est magnifique.
Un bel hommage à la mère !
Premières phrases : " Moi, j'ai toujours aimé connaître tout ce qui arrive aux gens, bien que je ne sois pas bachelier... C'est parce que j'aime les gens. Et les propriétaires de cette maison, je les aimais. Mais cela fait si longtemps, de tout ça, qu'il y a bien des choses dont je ne me souviens plus...
Un homme déjà âgé, qui a été le jardinier d'une belle villa au bord de la mer, se souvient ; il se rappelle du couple de propriétaires jeunes mariés, Monsieur Francesc et Madame Rosamaria, et de leurs amis, le peintre réputé Feliu Roca, ainsi que deux demoiselles Eulàlia et Maragda qui venaient tous ensemble passer l'été à la villa.
Quelques autres personnages gravitent autour d'eux, d'autres relations venues de Barcelone, la cuisinière Quima embauchée tous les ans pour la saison et qui aime bien raconter des histoires et poser des questions au jardinier, et des femmes de chambre dont Miranda, d'origine brésilienne une sacrée séductrice.
Le récit parle des six étés passés par le couple dans la maison au bord de la mer, dont le mirador sert d'observatoire ; six étés de "farniente", d'excursions, de bains de mer, de soirées...
Est-ce qu'on s'ennuie ? Pas vraiment, on vit, jour après jour...
Le narrateur lui, s'occupe du jardin depuis longtemps, des plantations, du nettoyage, de l'entretien des rosiers, des semis ; c'est un homme tranquille, qui s'intéresse aux autres et qui suit de loin et discrètement, ce qu'il se passe autour de lui.
Sur le terrain d'à côté, une nouvelle villa est construite ; le nouveau voisin, monsieur Bellom, a fait fortune en Amérique et fait ériger une superbe maison ; à partir de là, un certain charme est rompu : la fille de Monsieur Bellom arrive bientôt avec son mari, Eugeni, qui connaissait très bien Rosamaria.
Doucement, à pas feutrés, le drame arrive...
Il y aura aussi une guenon très coquine, un coupla âgé qui cherche son fils, un jeune lion, un homme mort en Afrique, deux chevaux et leur palefrenier...
Roman d'atmosphère, d'une certaine douceur de vivre, à la belle écriture, où tout est dit sur l'existence ; un livre charmant au sens propre du terme et d'une certaine mélancolie.
Ann est la mère de la narratrice, Julia, et elle est d'origine anglaise ; malheureusement Ann vient d'être victime d'un accident vasculaire cérébral et n'arrivera peut-être pas à survivre...
Tout au long de ce récit qui à la fois prend aux tripes mais qui est aussi plein d'humour (anglais ?), nous allons suivre le cheminement de Julia face à la maladie de sa mère, aux souvenirs partagés avec une toute une famille de femmes, et le soupçon de l'existence d'un secret dans la filiation...
La relation mère-fille, l'inimaginable bataille que représentent l'hospitalisation puis le placement d'une personne âgée malade, la mémoire de toutes les interactions familiales, font partie de ce roman intime.
Au long du récit, l'autrice raconte la vie de sa mère, issue d'une famille plutôt modeste de la ville ouvrière de Bullingham (Angleterre), ses parents, sa soeur Betty et ses deux filles, et Ann l'intellectuelle, qui choisit de venir vivre en France.
L'écriture est vive, plaisante, précise et élégante ; les histoires de vie présentent des hauts et des bas, mais Julia Deck ne s'appesantit pas sur le pénible, elle raconte, c'est tout.
Et c'est pas mal du tout !
Premières phrases : " On y pense ou on n'y pense pas. J'y pense depuis trente ans. Je tente de m'y préparer. J'essaie de me le représenter, d'imaginer les circonstances par quoi s'incarnera l'inévitable, comme si l'envisager sous tous les angles permettait d'améliorer le pire, ou simplement d'y survivre. Trente ans de crainte épicée d'espoir trouble, parce qu'on se fatigue même de la peur."
Qui est cette femme qui vient d'arriver dans un village de pêcheurs au bord la mer et qui fut pleine de chagrin ? Il lui a fallu du temps depuis la grande souffrance mais elle a enfin trouvé la paix.
Elle se souvient d'avoir entendu, il y a longtemps, "les paroles qui lui disaient sa vie" : " les paroles, claires, se déposaient et disparaissaient à la fois. c'était comme si le silence avait parlé puis s'était tu. Le récit s'était arrêté à maintenant. Rien n'avait été dit de ce qu'elle vivrait quand elle aurait quitté le lieu de la grande souffrance."
Alors, l'autrice invente, imagine une existence à Marie, la mère de Celui qui était un être absolu...
Petite, elle avait eu terriblement envie d'apprendre à lire ; mais elle n'avait pas le droit, étant une fille, d'accéder à ce savoir " Elle apprenait quand même, en saisissant des bribes au passage, en observant ce que traçait le vieux maître de la pointe du bâton, avant qu'il ne l'efface. Il la voyait. Il ne disait rien..." (p 17). Alors il lui apprend les signes, en cachette, à elle qui ne devrait avoir droit qu'à la connaissance des plantes. Et plus tard, bien plus tard, elle écrira sur des rouleaux de parchemin, "les histoires des uns et des autres".
Tout au long du texte, des phrases répétées rythment ce qui est dit sur Marie : elle, elle ne construit pas d'église ; elle est là pour aider les gens, les porter ; pour écrire leur histoire.
Avant son dernier souffle, son fils lui a nommé le doux Jean, qui veillera sur elle, et en effet, il est dans le récit, à la suivre de loin, parce qu'il " a toujours su compter les pas de la bonne distance".
Dès les premières lignes, l'écriture s'impose comme exceptionnelle : le choix de mots doux, précis et poétiques, la rédaction de phrases courtes comme si une respiration les entrecoupait, de formules qui tranquillement éclairent le propos.
C'est un très beau texte, on ne peut que remercier l'autrice de l'avoir écrit et publié !
" Peut-être se demande-t-elle juste ce que c'est que de ne plus rien attendre et de respirer pourtant, dans le silence. C'est vivre tout bas." (p 19)