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Les 2 bouquineuses ont aimé

20 avril 2024

"Histoire naturelle du silence" de Jerôme Sueur * * * * (Ed. Actes Sud Mondes Sauvages ; 2023)

Bio-acousticien, donc chercheur en écologie et en acoustique, Jérôme Sueur s'est naturellement intéressé au monde du silence ; il défend l'attitude humble et respectueuse de celles et ceux qui souhaitent protéger les paysages sonores, plus ou moins naturellement silencieux, plus ou moins remplis des bruits d'origine humaine, animale ou physique...
Alors, le silence existe-t-il vraiment ?

Après avoir donné quelques éclaircissements sur la nature du son, l'auteur s'intéresse au bruit fait par les hommes (qui n'aiment pas le bruit mais qui aiment faire du bruit...), le bruit anthropique qui bombarde la planète, nous dérange et dérange considérablement la faune sauvage; "les animaux réagissent au bruit par des stratégies d'évitement ou de lutte... plusieurs espèces d'oiseaux démarrent leurs chants du matin un peu plus tôt lorsqu'ils nichent à proximité d'un aéroport... des grillons tropicaux cessent de striduler quand des camions passent" (p 73)

À quel moment sont apparues les communications sonores entre individus ou entre espèces ? Difficile à dire pour les animaux les plus anciens ; sont sans doute apparus en premier des sons dus à des frottements et ce n'est que plus tard sans doute qu'ils sont devenus intentionnels. Grondements des poissons sous l'eau, stridulations d'insectes sur Terre furent sans doute les premières  communications sonores volontaires.

Avec beaucoup d'exemples et d'histoires passionnantes, l'auteur nous fait découvrir tout un monde de sons, de vocalises, de chants... qui s'interrompent brutalement en présence d'un prédateur, pour ne pas être repéré. 
Autre silence repéré par J. Sueur : chez la cigale tomenteuse particulièrement étudiée par l'auteur, le silence peut être amoureux, anxieux ou calculateur...

C'est passionnant, intelligent, instructif, précis, et Jérôme Sueur nous livre là un livre attrayant, bourré d'anecdotes et d'histoires personnelles qui font un ensemble très réussi !

Extrait p 21 : "En quelques traces de raquettes, j'avais perçu l'épaisseur du silence d'un paysage de montagne emprisonné dans la neige. Était-ce donc cela, le silence ? Un instant de solitude et de repos dans une nature habillée de glace et de froid ? Le silence serait-il un calme acoustique où seuls flottent encore quelques flocons sonores - un froissement de plumes, le délitement d'une neige maladroite ? Le silence serait-il une absence de sons et, par là, un manque d'informations venant de l'environnement ?"

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19 avril 2024

"Les ombres filantes" de Christian Guay-Poliquin" * * * * (Ed. La Peuplade ; 2021)

"Quelque chose vient de me tirer de mon sommeil. Je refuse d'ouvrir les yeux. Pas encore, pas tout de suite. J'ignore combien de temps j'ai pu dormir adossé à cette vieille souche. Une heure, peut-être deux. À part une corneille qui graille au loin et les feuilles des peupliers qui bruissent dans la brise, la forêt est silencieuse.

L'homme qui parle ainsi marche en forêt depuis dix ou douze jours pour rejoindre sa famille ; quand il entend un véhicule passer ou des gens parler, il se cache. La méfiance, la peur de l'autre est partout ; depuis qu'une panne générale d'électricité a tout désorganisé, chacun survit comme il le peut.

Pour se rendre dans le camp de chasse de sa famille où le narrateur pense que les siens doivent se trouver, il marche, beaucoup, toute la journée, mange des fruits secs et s'oriente à la boussole : la forêt est "dense et vorace" nous dit-il.
Dans la vraie vie, la forêt peut être un refuge, un endroit de paix et de retour à soi, mais ce peut être aussi un territoire sombre, qui inspire la crainte et peut ménager de mauvaises surprises...

C'est sur cette ambiguïté qu'est construit le récit : que va-t-il se passer pendant cette traversée de la forêt ? Qu'est-ce que cet homme va trouver au camp ? Comment vont se passer les retrouvailles avec sa famille ? Aura-t-il une place qui lui convienne parmi ses oncles, tantes, cousins et cousines ?

En forêt, un jour, sans aucune explication, un jeune garçon d'une douzaine d'années, Olio, l'a rejoint, un gamin intéressant mais pas facile et peu obéissant, permettant la création d'un duo type père - fils ; tous les deux vont à la fois s'opposer et se soutenir, s'agacer et s'aimer.
Il y aura la marche et leurs multiples aventures communes, leur arrivée au camp et la réunion avec la famille, l'installation et la vie ensemble ; il faut survivre, cultiver des légumes, chasser et faire du troc viande contre farine, sucre et riz dans une sorte d'épicerie, et... se supporter les uns les autres...

Cette expédition à deux et cette vie dans la nature, puis l'installation avec les oncles, tantes et cousins peut faire naître de multiples explications chez le lecteur ou la lectrice ; chacun, chacune comprendra à sa façon la longue traversée de la grande forêt, les rencontres avec les animaux et les arbres, la vie en famille, les rôles différents qu'on peut y jouer.
Un beau roman sur ce que pourrait être le "monde d'après", quand les êtres humains devront sans doute se rapprocher de la nature et nouer entre eux des relations nouvelles.

 

1 avril 2024

"Feria" de Ana Iris Simón * * * * (Ed. Globe ; 2020, 2023 en français)

"Feria" est un récit plein de vie et de joie, de souvenirs d'enfance, d'amour familial, d'anecdotes et d'expressions amusantes...
D'après Manuel Vilas, écrivain et poète espagnol qui signe la préface, il s'agit ici d'un roman autobiographique, dont l'autrice est l'héroïne ; c'est un roman d'apprentissage pour lequel la protagoniste puise dans l'exemple des siens, sa famille, pour avancer. (p 11)

Le livre commence commence par : " J'envie l'existence qu'avaient mes parents à mon âge."
Ana Iris Simón signale d'une façon amusante que si elle est plus libre, a voyagé et a eu la chance de faire des études universitaires - " se taper une année à manger des Doritos et à copuler dans tous les sens à Bruxelles grâce à ce bidule qu'on appelle Erasmus..." (p 21), elle n'a pas d'enfant, n'est pas propriétaire, et dans l'ensemble elle estime que sa génération vit moins bien que celle de ses parents...

Partant de là, Ana Iris nous raconte son enfance dans une famille chaleureuse : nombreux cousins et cousines, oncles et tantes, parents très aimants et grands-parents présents et attentifs, beaucoup de bonheur malgré la pauvreté. Il y a des fêtes, des mariages, des rites familiaux qui font plaisir, beaucoup de rires ; mais aussi des séparations, des décès douloureux qu'il faut affronter...
D'un côté, les grands-parents maternels, Mari Solo et Gregorio des forains, très croyants, qui vont de férias en férias, de l'autre les grands-parents paternels Mari Cruz et Vicente communistes et républicains, qui ont dû s'exiler en France pendant un temps, la mère Ana Mari, celle qui est comme l'univers parce qu'elle s'étend, le père Javi, né pour être père, son jeune frère, sont toute sa vie d'enfant et d'adolescente
La région où vit cette famille, c'est la Mancha, pays de vents et de moulins, patrie attachante pour tous les protagonistes de l'histoire ; l'absence totale de relief, le vent, Don Quichotte constituent l'identité du peuple qui y habite, selon Ana Iris.

Le plus intéressant et souvent le plus amusant, c'est le regard que pose la petite puis la jeune fille sur l'existence d'une façon générale, mais aussi sur l'Espagne : " C'est quoi l'Espagne ? L'Espagne, je répliquais, c'est précisément cette question. Il n'y avait rien de plus espagnol que de se demander ce qu'était l'Espagne et ce que sont les espagnols..."

Un bouquin très intéressant, original, et fort drôle ; à la fois déclaration d'amour à une terre et à un clan, mais aussi réflexion sur une époque et un pays.

31 mars 2024

"Proust, roman familial" de Laure Murat * * * (Ed. Robert Laffont ; 2023)

Il faut bien le dire, les cinquante ou soixante premières pages du bouquin ne m'ont pas enthousiasmée... La généalogie de L. Murat, et le fait que Proust ait repris tel ou tel personnage qu'il côtoyait lors de ses sorties dans le monde pour en faire un protagoniste de son récit, n'est pas en soi passionnant, ni les détails familiaux de cette noblesse qui cherche à survivre.

Ce qui l'est beaucoup plus, c'est de retrouver le regard que l'écrivain portait sur les aristocrates : "Dans la danse de l'aristocratie et de cet art de vivre qu'il convient de prendre au pied de la lettre, Proust a trouvé un inépuisable objet de réflexion". (p 22)

Ainsi le récit devient nettement plus attractif lorsque l'autrice décortique quelques textes proustiens, par exemple "les souliers rouges de la duchesse" et nous montre que Marcel Proust - s'il a eu envie à un moment de faire partie de ce monde - n'était pas dupe, en particulier d'une certaine grossièreté, la brutalité vulgaire que montrent le Duc et la Duchesse de Guermantes en retard pour un dîner alors que Swann annonce sa mort prochaine... La bêtise, la vanité, le monde du néant sont dénoncés par Proust, et L. Murat démontre qu'il a mis à nu de façon impitoyable cette noblesse française persistante.

Il y a des passages très intéressants sur les relations de l'autrice avec ses parents - sa mère en particulier - dont on s'effraie que la vie en ait fait des êtres aussi rigides, persuadés de leur supériorité en toute chose, incapables de s'adapter et de comprendre, même un de leurs enfants...
Mais Laure Murat n'a pas respecté les règles et les usages de son monde :
"Mon destin, on me l'a assez répété, était de me marier et d'avoir des enfants. Je n'ai pas d'enfants, je ne suis pas mariée, je vis avec une femme, je suis professeure d'université aux États-Unis, je vote à gauche et je suis féministe. Pour le milieu d'où je viens, c'est excéder de beaucoup le délit de cumul des mandats". (p 14).

Vers la fin du livre, de belles pages sur son père le montrent finalement assez libre et original par rapport aux dictats aristocratiques : " Mon père avait le sens de l'élégance comme celui du jeu et de l'amitié. Je crois n'avoir jamais rencontré quelqu'un qui souffrait autant de la vulgarité - un geste déplacé, une expression ordinaire trahissant une pensée médiocre l'atteignaient comme quelqu'un qui reçoit un coup. Cela n'avait rien à voir avec la classe sociale. Ou plutôt si. Bien des ducs et des grands bourgeois n'étaient pour lui que des ploucs, mot qu'il employait à tout va et à leur destination exclusivement."

Récit autobiographique basé sur "Comment Proust a changé ma vie" par l'éclairage qu'il donne d'un milieu vide et finalement assez pauvre qui est celui d'origine de Laure Murat, et par le rejet des homosexuel.les au début du XXème, rejet dont fut victime l'autrice de la part de sa famille, ce texte assez inégal a le mérite de donner l'envie de relire À la recherche du temps perdu pour y trouver encore plus de plaisir.

 

24 mars 2024

"Nevabacka - Terre des promesses" de Maria Turtschaninoff. * * * * * (Ed. Paulsen ; 2024)

Prix Yle 2022

Une très belle saga familiale venue de Finlande, bâtie autour des existences des habitants successifs d'une grande ferme, qui fut au départ une simple cabane, construite au XVIIème siècle par Matts, un soldat qui reçut les terres de Nevabacka en récompense de ses loyaux services et dont il prit le nom comme il en était alors l'usage. 

Sur quatre siècles, les Nevabacka occupent cet endroit en pleine nature, riche en forêts denses, en sources, en prairies et en marais ; au départ, des croyances tenaces dissuadent les habitants d'aller du côté de la Tourbière Enchantée, on dit même que Matts, le premier des Nevabacka a eu un enfant avec la nymphe qui habite cette tourbière. À ces superstitions, suivront les dogmes de la religion, les désirs d'amélioration des connaissances et d'exploration naturaliste, peut-être aussi malheureusement la convoitise et l'exploitation des ressources...

Tout au long du récit et des générations, des sortes d'interdits se transmettent, comme creuser la tourbière, assécher un marécage, abattre les arbres de la forêt... Le récit des Nevabacka s'ouvre et se termine sur ce thème : l'homme a-t-il le droit d'abimer la nature, en particulier pour répondre à ses besoins ?
Ces zones froides, riches en animaux ours, loups, gloutons, oiseaux de toute sorte, et en végétaux dont les baies nourriront bien des natifs de l'endroit, sont des lieux sacrés, qui doivent être respectés ; il peut même y pousser des plantes inconnues, une certaine orchidée jaune qui traverse le récit...

Certains Nevabacka s'en iront loin, d'autres partiront et reviendront, d'autres enfin passeront toute leur vie là,  incapables de s'éloigner de cet endroit magnifique mais difficile. Il y aura des moments heureux, un quotidien très dépendant des saisons, mais aussi des malheurs, des famines et des épidémies, des guerres ; des histoires d'amour et des vengeances, toute une série d'existences, de personnages attachants que l'autrice présente soit sous forme narrative, soit au travers de lettres échangées, soit à partir de poèmes en prose.
L'écriture est belle et intéressante, particulièrement suggestive, permettant au lecteur ou à la lectrice de se promener facilement dans les temps et dans les lieux évoqués ; c'est sans doute cette écriture qui permet d'offrir un livre aussi agréable, passionnant, profondément satisfaisant.

Les premières lignes du récit montrent l'arrivée d'une jeune femme dont la mère vient de mourir, et qui veut comprendre pourquoi cette ferme de Nevabacka était autant aimée par cette mère ; elle part alors à la rencontre de l'histoire de ses ancêtres :
Extrait p 13
"La terre d'ici te connaît
Et à présent doit s'habituer à moi
elle me flaire
Je traverse l'histoire
arpente le chemin tracé par mes ancêtres
passe à côté des murets de pierre qu'ils ont construits
des greniers qu'ils ont remplis de foin
des granges qu'ils ont bâties
des champs qu'ils ont cultivés
année après année
les traces de leur vies
se recouvrent
s'effondrent
ensevelies par l'herbe, les broussailles et la mousse...

Nevabacka - Terre des promesses est une histoire de transmission d'une terre de génération en génération, de l'amour et du respect que la majorité des habitants apporteront à ce lieu, ainsi que le récit de vies individuelles et familiales.
Un livre magnifique, foncièrement humain, amoureux d'une nature source de vie, et qui célèbre le respect dû à ce dont on hérite et que l'on transmettra...

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19 mars 2024

"À la recherche de soi" de Élodie Milleret * * * * * (Ed. Le lys bleu ; 2024)

J'ai déjà lu des haïkus,  mais je ne suis pas experte ; ce que je livre ici est un ressenti de lectrice qui a des années de découverte de toute sorte de littérature.
J'ai été littéralement emballée, émerveillée, transportée... Un agréable choc...

Les brefs poèmes sont très beaux, suggérant une transformation de soi après une expérience douloureuse, comme en témoigne la dédicace : " À mon ancien moi pour avoir traversé toutes ces tempêtes".

C'est un recueil de poésie dans laquelle on se glisse facilement ; on comprend bien le sujet, on apprécie la façon de sublimer le chagrin, de ne pas trop s'y attarder, de se tourner vers autre chose, plus tard, après...
Une façon d'être en accord avec les saisons, la nature, son soi profond...

Une lecture qui fait énormément de bien !

Ils sont tous beaux ces haïkus, mais il faut bien en choisir un :

Une brise légère
      adoucit l'air du soir
             Solstice d'été

                              embrase la forêt
                                     des racines jusqu'au ciel
                                              le vent lumière

                                                            fidèle à mon essence
                                                                  le long de la berge
                                                                        serpente la rivière

10 mars 2024

"Et vous passerez comme des vents fous" de Clara Arnaud * * * * * (Ed. Actes Sud ; 2023)

Ce livre est un recueil de trois histoires, présentées en chapitres alternés, et qui verront leurs récits se rejoindre :
celle de Jules qui , à la fin du XIXème siècle, va chercher un ourson dans une tanière pendant que la mère est partie s'alimenter, il veut devenir montreur d'ours en Amérique,
celle de Gaspard, de nos jours berger dans les Pyrénées après avoir fait des études à Paris, et dont on comprend qu'il va avoir du mal à remonter en estive à cause d'un grave accident l'été passé,
et enfin celle d'Alma, actuellement éthologue au CNB, Centre National de la Biodiversité, spécialiste du comportement des ours, qui essaie de prévoir et les agissements des animaux, et ceux des humains...

Dès le début le problème est posé : comment concilier le passé, quand les animaux étaient à la disposition des humains qui pouvaient en faire ce qu'ils voulaient, même s'il fallait être courageux pour affronter les grands prédateurs, et le présent où les anti-ours ne veulent pas revenir à une époque ancienne et voir leurs brebis attaquées, mangées, apeurées.

L'écriture est très belle, à la fois précise, poétique, évocatrice  et le propos, scientifiquement juste, explique avec netteté les enjeux ; tout est très bien analysé, approfondi et l'autrice réussit le tour de force de se mettre dans la peau de chacun des protagonistes, de façon à ce que la lectrice ou le lecteur comprenne bien, à travers ce roman, que tout n'est pas blanc ou noir. Pour trouver une solution, un vivre ensemble stable, contenter et les éleveurs et les naturalistes sur du long terme, il faut trouver de nouvelles façons de voir les choses, ne pas laisser la situation s'enkyster...

Alors, sur fond de paysages magnifiques transformés par le changement climatique, la hausse des températures et l'assèchement des terrains, entre les soucis personnels, la peur toujours présente et les collègues compliqués, Alma va beaucoup travailler pour empiler le maximum de données sur la grande ourse qui rôde, la Negra, et Gaspard va essayer de sauver ses bêtes et de se sauver lui-même.

Très beau livre, qui immerge la lectrice, le lecteur, dans la vie des montagnes et dont on se souvient longtemps...

Extrait p 47 : " ... malgré les tensions que sa présence cristallisait, Alma ne pouvait s'empêcher d'être fascinée par cette ourse magnifique, immense, qui semblait toujours avoir un coup d'avance sur les humains, mettant à mal leur volonté de contrôle. Et chaque fois qu'elle arpentait la montagne, une pensée inavouable au comptoir du café lui venait : cette ourse était une reine, elle aimait l'idée de vivre sous son règne."

6 mars 2024

"Avec les fées" de Sylvain Tesson * * * * (Ed. Équateurs ; 2023)

S'asseoir dans son canapé, bien au chaud avec une tasse de thé, et se plonger avec délices dans les pérégrinations de l'auteur et de ses amis sans bouger de chez soi, voilà un très bon moment ! C'est qu'ils bougent, naviguent, marchent, font de la bicyclette, Sylvain, Benoît et Humann...

Extrait p 17 : " J'avais un plan : bivouaquer sur le sol d'un Finisterre, avant de prendre le large. Une nuit de veille, à la fin des terres. Ensuite, je rejoindrais le bord".

En fait, juste voyager, ce n'est pas suffisant pour Sylvain Tesson ; s'il choisit d'être sur la mer, il ne prend pas assez connaissances des terres, et inversement ; il lui faut les deux. Donc dans ce voyage qui l'emmène de l'Espagne à l'Écosse, il fera tout : et naviguer, et marcher, et se déplacer en vélo.

De cap en cap, de couchers en levers de soleil, de quarts en quarts et en longeant le littoral, les voyageurs rêvent, pensent, philosophent et échangent ; Bretagne, Angleterre, Pays de Galles, Irlande et Ecosse seront parcourues sur mer et sur terre, prétextes à de nombreuses références historiques, géographiques et littéraires. Ils sont cultivés ces hommes-là et ce qui ne gâte rien, pleins d'humour, souvent.

Dans le bateau il y a des bouquins et des cartes, plus une table pour manger, boire et discuter ; une vie pleine d'amitiés, qui ménage des moments de solitude, indispensables pour rédiger un texte aussi beau et plein d'esprit que celui-là.

Extrait p 74 : " Aux origines, la vie s'était extirpée de ces creusets pour s'articuler à l'air libre. La paramécie avait eu son heure. Aujourd'hui, c'était le tour de l'homme. On appelle évolution le chemin qui mène de la bactérie au pêcheur breton. Les piétons brouillaient les flaques. Des tracteurs moissonnaient les casiers dans les parcs coquillers. En Bretagne, les rochers se mangent."

23 février 2024

"Nénuphar, Femme Sioux, fille du grand peuple Dakota" * * * * (Ed. Cambourakis ; 1989/2021)

" Cela peut sembler naïf, mais j'ai l'impression d'être investie d'une mission : faire comprendre le peuple des Dakotas en tant qu'êtres humains aux Blancs qui traitent avec eux."

Ce livre est une réédition de l'ouvrage posthume de Ella Cara Deloria (1889 - 1971), première femme éthnologue amérindienne, écrivaine, linguiste, enseignante, traductrice de la langue sioux pour le fondateur de l'anthropologie américaine moderne, Franz Boas.

L'histoire - qui se passe au XIXème siècle, est essentiellement celle de Nénuphar, petite fille née d'un mariage éphémère de sa mère Oiseau Bleu avec un homme peu intéressant qui a fui très vite son foyer. Oiseau Bleu se remarie un peu plus tard - en fait elle est achetée, ce qui est une chance pour elle  - avec Arc-en-ciel qui adopte et chérit Nénuphar ; deux autres enfants naissent de cette union, un garçon Ohiya et une fille Joli Sourire.

En suivant les différents âges de Nénuphar, nous faisons connaissance de tous les membres de sa famille et de leur destinée, en croisant les oncles, tantes, cousins, grand-parents qui vivent ensemble ou dans des tipis proches, et s'entendent plutôt bien.
C'est l'occasion pour l'autrice de présenter les grandes cérémonies qui ponctuent et rythment leurs vies, comme celles qui honorent les enfants bien-aimés ou celles consacrées au soleil, à la Nature dont les amérindiens font intégralement partie.
Tous les aspects du quotidien sont évoqués, jamais on ne gronde ni ne tape un enfant, le plus important dans l'existence est la famille, la solidarité entre membres d'une même tribu, et l'hospitalité due à celui qui en a besoin.
Les tipis, les costumes; la nourriture, les convenances et règles de conduite sont étudiés de près par l'autrice, elle-même indienne Sioux Dakota ; les garçons doivent devenir des hommes solides et bons chasseurs, leur principale activilé est la chasse au bison ou au cerf, les filles doivent devenir des femmes au service de leur famille, et qui se "tenir correctement" ; les règles sont sévères et la virginité des jeunes filles par exemple n'est pas un sujet de plaisanterie !

Régulièrement des tribus sont massacrées par leurs ennemis, et seuls celles et ceux qui n'étaient pas au campement en réchappent ; la vie est difficile pour ces Indiens des Plaines qui subissent les attaques régulières d'autres tribus, vivent au gré des intempéries et des sources de nourriture. Mais l'amour qui les lie est profond et protecteur.
Jusqu'au jour où, des couvertures sont distribuées mais elles contiennent des virus mortels pour ces Indiens...

Premières phrases : " Le campement était de nouveau en mouvement. Dès qu'un lieu s'épuisait et devenait malsain, dès qu'il était temps de partir à la chasse au cerf ou d'aller ramasser des fruits, les chefs, qui avaient pour devoir d'organiser la communauté, donnaient le signal du départ. Et tout le monde devait obéir. Rester en arrière, c'était renoncer à toute protection.
La journée était chaude, étouffante et lourde. L'air s'emplissait d'une poussière qui s'élevait à hauteur d'homme, enveloppant les marcheurs et avançant avec eux, une poussière fine qui dansait sous les pieds des hommes et des animaux et sous les traverses de bois des lourds travois tirés par les chevaux."

Un bouquin passionnant, très instructif et bien écrit ; dépaysement garanti !

16 février 2024

"Le lièvre aux yeux d'ambre" de Edmund de Waal * * * * (Ed.Libres Champs ; 2015)

" Une époque, un récit, l'exactitude des sources racontées à la manière d'un roman car la réalité souvent, dépasse la fiction", voilà ce que l'on peut lire en bas de la quatrième de couverture, et qui caractérise cette collection éditée par Flammarion.

L'histoire ici est celle d'une famille, les Ephrussi, juifs et russes originaires d'Odessa, vivants au XIXème siècle et début du XXème à Paris et à Vienne ; et c'est un descendant des Ephrussi, Edmund de Waal, céramiste londonien, qui raconte sa quête de documents et tout ce qu'il découvre sur cette famille.  
Il a hérité d'une collection de 264 netsukes - miniatures sculptées dans l'ivoire ou le bois - et se sent chargé d'une responsabilité envers ces petits objets et ceux qui les ont possédés. Au départ, le narrateur sait juste que les netsukes ont été achetés à Paris par un cousin de son arrière grand-père, Charles Ephrussi, puis offerts en cadeau de mariage à un autre arrière grand-père Viktor Ephrussi, au début du XXième siècle, dans la ville de Vienne. À un moment, ils ont suivi son oncle Iggie à Tokyo...

Extrait p 16 : " Le déjeuner terminé, il (Oncle Iggie) tirait une des portes coulissantes de sa longue vitrine qui occupait presque tout un mur du salon, et il en sortait, un par un, les netsukes qu'elle contenait. Le lièvre aux yeux d'ambre. Le jeune homme casqué, brandissant son épée de samouraï. Un tigre tout en pattes et en épaules, qui se retournait en montrant les dents. Il m'en tendait un, que nous observions ensemble, et que je rangeais ensuite avec précaution parmi les dizaines d'animaux et de personnages alignés sur les étagères en verre. Je me chargeais de remplir les coupelles d'eau qui restaient toujours dans la vitrine, de peur qu'un air trop sec ne vienne à fissurer les figurines d'ivoire.

Ce récit, d'une incroyable richesse, permet à l'auteur dont l'érudition est remarquable, de nous emmener dans plusieurs pays, villes et régions où des membres de sa famille ont vécu, notamment Paris, le Japon, l'Autriche et la Crimée russe, de nous faire rencontrer une foule de personnages intéressants dont Charles qui a servi de modèle à Proust pour le dandy (Charles) Swann, de recréer des moeurs et des époques révolues, et de montrer de façon très évocatrice la montée du nazisme.
Il ne restera que les netsukes de la splendeur des Ephrussi qui furent de fameux financiers ainsi que des mécènes et des collectionneurs avertis, avant la seconde guerre mondiale.
Passionnant et magnifique !

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