"Regardez-nous danser" Le pays des autres, 2 * * * * (Ed. folio ; parution originale 2022)

Cette deuxième partie du texte "Le pays des autres" nous raconte la suite de l'histoire de Mathilde d'origine alsacienne, d'Amine son mari marocain - mariage en 1945 puis la famille va vivre à Meknès -, de leurs deux grands enfants, Aïcha qui fait des études de médecine à Strasbourg à la grande fierté de son père, et Sélim, peu doué pour les études, qui disparaît avec un groupe de hippies...

Nous sommes en 1968, Amine a réussi à force de travail acharné à tirer profit de la terre peu productive au départ dont il a hérité, et le couple, s'il n'est pas très uni, appartient à la classe aisée et est reçu dans les meilleures maisons. Mathilde a installé un dispensaire chez elle, c'est une femme bonne et charitable qui se soucie des miséreux.

Sur fond d'élévation rapide d'une famille dans l'échelle sociale et en prenant appui sur l'Histoire du Maroc des années soixante à soixante quinze, l'autrice nous montre l'évolution de la place des femmes dans la société marocaine : entre Mouilala mère d'Amine née au début du XXème siècle dans la classe moyenne et qui ne savait ni lire ni écrire et Aïcha sa petite fille, qui fait des études de médecine, le fossé est grand ; Leïla Slimani raconte encore la terrible police du royaume, violente, injuste et corrompue, les problèmes de drogue et les attentats contre le roi Hassan II, la révolution agraire et les années de plomb, le post colonialisme et l'arrivée d'une bourgeoisie qui adopte des comportements proches des coloniaux.

Belle écritude, fluide et très évocatrice, histoire passionnante, personnages analysés avec justesse, regard acéré sur une nation plus de dix ans après son indépendance... Vivement le troisième volet !

Extrait  (p 51) : " En septembre 1964, Aïcha s'installa dans la capitale alsacienne. Avant cela, elle n'avait jamais imaginé que l'hiver puisse être si précoce et s'inviter, avec son cortège de ciels cendreux et de journées pluvieuses, dès le mois d'octobre. Durant son enfance, elle avait écouté avec une attention dévote les récits de sa mère sur l'Alsace, mais elle n'avait pas pensé que ce pays était aussi le sien, qu'il faisait partie d'elle. En réalité, les histoires que sa mère racontait lui semblait concerner une contrée imaginaire, un territoire de contes de fées où l'on mange des tartes aux quetsches dans de petites maisons en bois."