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Les 2 bouquineuses ont aimé
9 juillet 2018

"L'Art de perdre" de Alice Zeniter * * * * * (Ed. Flammarion ; 2017)

41zujLaF6qLC'est une histoire de famille, celle de Naïma, dont le grand-père Ali, qui était kabyle, a dû venir en France avec femme et enfants après la fin de la guerre d'Algérie et y a vécu l'histoire malheureuse de tous les harkis : chassés de leur pays d'origine mais très mal accueillis en métropole, parqués dans des camps puis dans des HLM, ils ont perdu ce qui faisait d'eux des hommes forts...

Il y a eu ensuite ce qu'on appelle la deuxième génération, celle des enfants - nombreux - de Ali et Yéma, et l'auteure nous conte plus particulièrement la vie de Hamid, le fils aîné, qui sera le père de Naïma.
Ni Ali ni Hamid - qui reprochait pourtant beaucoup à son père de ne pas parler - n'ont pu ou voulu raconter ce qui leur était arrivé, tout ce qu'ils avaient resenti, ce qui les avait tant blessé...

Naïma a fait des recherches pour savoir qui était son grand-père : un homme très grand qui, après avoir participé à la seconde guerre mondiale, était devenu propriétaire à force de travail et de chance pensait-il, de terres et d'oliviers là-haut dans la montagne, en Kabylie.
Comment Ali s'est-il retrouvé dans le "mauvais camp" au moment de la guerre d'indépendance ?

"Choisir son camp n'est pas l'affaire d'un moment et d'une décision unique, précise. Peut-être, d'ailleurs, que l'on ne choisit jamais, ou bien moins que ce que l'on voudrait. Choisir son camp passe par beaucoup de petites choses, des détails. On croit n'être pas en train de s'engager et pourtant, c'est ce qui arrive." (p 60)

" Rien n'est sûr tant qu'on est vivant, tout peut encore se jouer, mais une fois qu'on est mort, le récit est figé et c'est celui qui a tué qui décide. Ceux que le FLN a tués sont des traitres à la nation algérienne et ceux que l'armée a tués des traitres à la France. Ce qu'a été leur vie ne compte pas : c'est la mort qui détermine tout." (p 110)

Adolescent, le jeune Hamid ( père de Naïma plus tard) se pose bien des questions sur le pourquoi du départ de son père d'Algérie ; qu'a-t'il fait pour qu'il doive quitter l'Algérie ? Est-ce qu'on l'a forcé à partir ?
Seule réponse d'Ali "tu ne comprends rien, tu ne comprendras jamais rien..."
Séparé de son père par un mur d'incompréhension, Hamid part à Paris où il rencontre Clarisse qui n'est pas algérienne - les rencontres avec les beaux-parents sont plutôt amusantes -  ils auront quatre filles, dont Naïma.

La troisième partie du récit est consacrée à Naïma ; la jeune femme, dans laquelle l'auteure doit se reconnaître, peu consciente qu'elle est véritablement en quête de son identité, va finir par aller en Algérie retrouver ses racines. Elle travaille dans une galerie d'art contemporain qui organise une retrospective d'un peintre algérien en délicatesse avec son pays ; c'est Naïma qui est chargée d'aller chercher ses oeuvres et qui peut, si elle le souhaite, faire le lien avec le passé.
Elle a pris de plein fouet les regards méfiants après les attentats et les remarques acerbes sur "les musulmans" ; elle prend conscience qu'elle a peur d'une sorte de guerre entre des "eux" et des "nous" parce qu'elle ne sait pas dans quel camp elle serait...

Un livre extrêmement intéressant qui semble essayer de répondre aux questions que l'on peut se poser sur la vie : à quoi tient le destin d'un homme ? Choisit-on vraiment sa vie ? Comment vivre quand on appartient à deux pays, deux cultures, deux peuples si différents qu'ils ne se comprennent pas ? Peut-on vivre l'exil ?

Tout le livre est passionnant et si chaque page a son intérêt, certaines parties sortent tout de même du lot : la discussion entre Ali et Mohand qui marchent dans Paris dix ans après la fin de la guerre d'algérie est un moment formidable, c'est la confrontation du harki exilé et de l'ancien du FLN. La rencontre de Naïma avec la famille kabyle de son père est un moment très émouvant également.

"L'Art de perdre" est un très très beau livre, un récit d'une grande humanité, plein à la fois de douceur et de force, de violence et de poésie ; un tour de force pour une jeune auteure dont on sent vibrer l'intelligence et la sensibilité. Magistral !

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