"Vivre avec nos morts" de Delphine Horvilleur * * * * (Ed. Grasset ; 2021)

Delphine Horvilleur est une femme rabin ; douée pour l'expression orale au point de séduire tous ceux qui l'écoutent, elle est visiblement très douée aussi à l'écrit. Elle est de ces auteurs dont on a l'impression qu'ils ou elles exposent très exactement leur pensée, employant les mots précis et parfaitement adaptés à leur démonstration.
D'ailleurs, elle dit que c'est son métier : " Trouver les mots et connaître (les) gestes est le coeur de mon travail".

Rabin depuis quelques années, cette femme extraordinaire accompagne les vivants qui enterrent leur mort ; passant une bonne partie de sa vie au cimetière, elle ne fait pas croire qu'elle s'y est habituée ; elle se voit comme une accompagnatrice du passage, une conteuse d'histoires anciennes, ancestrales, qui se tient à la porte située entre les vivants et les morts pour s'assurer qu'elle reste ouverte.
Mon rôle : " Accompagner les endeuillés, non pas pour leur apprendre quelque chose qu'ils ne savaient déjà, mais pour leur traduire ce qu'ils (vous) ont dit, afin qu'ils puissent l'entendre à leur tour." (p 80)

Sous-titré " Petit traité de consolation", ce livre est à lire et à relire, par les juifs et les non juifs, par ceux qui vivent un deuil ou ceux qui en ont peur, par tous les vivants parce qu'un jour ils devront affronter la mort...
L'enterrement d'Elsa Cayat, la psy de Charlie Hebdo en janvier 2015, celui de Marc que ses proches semblaient ne pas connaître, celui de cette mère dont le fils désire un enterrement traditionel même s'ils ne sont pas de bons juifs, ou celui d'un petit frère dont l'aîné ne comprend pas s'il va aller sous terre ou au ciel... sont à l'origine de chapitres dans lesquels Delphine Horvilleur montre comment elle cherche, réfléchit, et prépare ce qu'elle va dire aux familles et comment elle va le dire.

Avec une grande ouverture d'esprit et un amour de son prochain remarquable, cette femme nous livre ses souvenirs, ce que les évenements évoquent pour elle et les associations d'idées qu'ils font naître.

" Savoir raconter ce qui fut mille fois dit, mais donner à celui qui entend l'histoire pour la première fois des clés inédites pour appréhender la sienne. Telle est ma fonction. Je me tiens aux côtés de femmes et d'hommes qui, aux moments charnières de leurs vies, ont besoin de récits. Ces histoires ancestrales ne sont pas seulement juives, mais je les énonce dans le langage de cette tradition.Elles créent des ponts entre les temps et entre les générations, entre ceux qui ont été et ceux qui seront." (p 17)