"Le pays des autres" de Leïla Slimani * * * * (Ed folio ; première parution 2000)

Elle écrit vraiment bien Leïla Slimani et ce qu'elle raconte est passionnant ; difficile de lâcher le livre avant d'en connaître un peu plus sur la vie de Mathilde, de son mari Amine et de leurs enfants Aïcha et Sélim.
Mathilde, une belle grande alsacienne qui a soif d'aventure et de passion, tombe amoureuse d'Amine, un marocain venu combattre en France ; amoureuse au point de tout quitter, famille, amis et mode de vie pour aller vivre sur les terres assez isolées et plutôt pauvres dont Amine a hérité de son père. Nous sommes dans les années 40 - début des années 50, et le récit de ce premier volume s'achève un peu avant l'indépendance du Maroc (1956)..
L'auteure a repris une trame réelle à savoir la vie de ses grands-parents, chez lesquels elle a beaucoup vécu enfant.

Nous connaissons toutes et tous des femmes comme Mathilde : pleines de vie, de générosité et de courage mais aussi habituées à une certaine liberté, à s'exprimer, à revendiquer une place plus importante que celle de "simple" épouse et mère. Des femmes intelligentes, fortes, qui souhaitent pour leurs enfants le meilleur, mais ce meilleur est très variable d'un pays à l'autre...

Malgré de nombreux problèmes financiers et familiaux, Mathilde semble tenir le coup dans sa "propriété" aux environs de Meknès ; les désillusions et autres humiliations de cette existence en marge des colons français et du peuple marocain sont pourtant nombreuses et les soucis d'Amine pour faire fructifier la terre les entraînent dans un manque d'argent chronique et usant.
L'amour semble profond entre les deux époux, mais qu'en sera-t-il quand la soeur d'Amine "sortira avec un français" ? Quand Omar le frère fera partie des insurgés ? Quand Amine aura trop bu et se croyant déshonoré voudra tuer toutes les femmes de sa famille ? Quand des colons français seront assassinés ?
Mathilde vit sa propre histoire, déjà complexe, et traverse aussi l'Histoire de son pays d'adoption qui subit des bouleversements importants ; le suspense est  intense sur sa destinée et sa capacité à relever le défi.

Ce que l'auteure réussit le mieux est sûrement la façon dont elle fouille la psychologie des personnages ; l'impression d'être dans la tête et les pensées de Mathilde, d'Amine et d'Aïcha est indubitable. Amine qui est venu se battre en France - le pays des français - puis est redevenu "indigène" au Maroc, et Mathilde qui sera avec sa peau blanche toujours une étrangère au pays des marocains.

L'importance des livres, de la culture et des études, les "Ici on ne fait pas ça...", le sens du devoir et du travail, l'intégration sont aussi des thèmes marquants du récit ; on sent que Leïla Slimani leur accorde une grande importance.
Et chouette alors, c'est le premier d'une trilogie !

Premières phrases : " La première fois que Mathilde visita la ferme, elle pensa : c'est trop loin. Un tel isolement l'inquiétait. À l'époque, en 1947, ils ne possédaient pas de voiture et ils avaient parcouru les vingt-cinq kilomètres qui les séparaient de Meknès sur une vieille trotteuse, conduite par un gitan. Amine ne prêtait pas attention à l'inconfort du banc en bois ni à la poussière qui faisait tousser sa femme. Il n'avait d'yeux que pour le paysage et il se montrait impatient d'arriver sur les terres que son père lui avait confiées."