"Soumission" de Michel Houellebecq * * * * (Ed. Flammarion, 2015)

"... seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l'intégralité de cet esprit ...".
"Seule la littérature peut vous permettre d'entrer en contact avec l'esprit d'un mort, de manière plus directe, plus complète et plus profonde que ne le ferait même la conversation avec un ami ..."
"... un auteur c'est avant tout un être humain, présent dans ses livres, qu'il écrive très bien ou très mal en définitive importe peu, l'essentiel est qu'il écrive et qu'il soit, effectivement présent dans ses livres ..."

Dès les premières pages, Michel Houellebecq frappe assez fort, avec toujours un peu de provocation : le début du livre est "jouissif", avec toutes sortes de considérations sur les universités et leurs étudiants, les relations du "héros" François avec ses "copines", la "non motivation" des enseignants... c'est très drôle ! L'écriture crée le contraste entre le sérieux et la profondeur du début d'une phrase et sa chute beaucoup plus prosaïque, pleine d'humour.
Le personnage principal, un temps étudiant et thésard, puis enseignant en littérature du XIXème, vieillit ; il a de moins en moins de copines et décide - "avant de mourir" - de s'intéresser à la politique ; en 2017 Hollande a été réélu, mais c'est un président de gauche dans une France de plus en plus à droite. Des troubles éclatent sans qu'on sache bien s'ils sont le fait de musulmans, d'identitaires ou de voyous. Puis dans cette atmosphère déprimée et agitée, en 2022 et grâce aux voix de l'UMP, de l'UDI et du PS rassemblées pour bloquer le FN, Mohammed Ben Abbes qui a créé la "Fraternité musulmane", est élu président. C'est un homme modéré mais ambitieux et très doué, qui a le projet de recentrer l'Europe vers le Sud.
Notre "anti-héros" analyse sa vie en parallèle avec celle de Huysmans, son sujet de thèse, qui s'était converti au catholicisme ; il en découle une critique froide et distanciée de la société française. François apparaît tour à tour énervant avec ses "femmes pot-au-feu" et son mépris pour le bonheur "tiède" des couples et des familles (alors qu'il se plaint constamment d'être seul), émouvant assis devant la vierge noire de Rocamadour, décevant quand il se "soumet"...

Interviewé, l'auteur est d'accord pour qu'on qualifie son livre de "politique fiction" et de satire, mais refuse l'idée d'une caricature d'un islam violent et radical ; il dit avoir travaillé sur la possibilité d'accession au pouvoir d'un islam modéré et affirme qu'il ne veut juger aucun de ses personnages.
Il récuse l'idée que son livre peut alimenter des peurs et ne reconnaît pas à un roman la capacité de changer l'Histoire.
Liberté ou soumission pour l'homme qui veut être simplement, calmement heureux ?
Chacun peut se faire son idée sur cette "Soumission" en lisant ce livre fort, intéressant et qui fait réfléchir.