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Les 2 bouquineuses ont aimé
18 mars 2018

"La source" de Anne-Marie Garat * * * * * (Ed. Babel ; première parution 2015)

41YiosK0CiLIl y a des écrivain(e)s qui ont de belles histoires à raconter, intéressantes et enthousiasmantes ; le style par contre n'est pas toujours là... Et il y a des écrivain(e)s qui écrivent très bien, mais qui n'ont pas vraiment grand-chose à dire ; alors on s'ennuie un peu et le livre nous tombe des mains...
Anne-Marie Garat, formidable auteure peut-être pas assez connue, possède à la fois une écriture magnifique et des choses passionnantes à raconter ! Dans ce livre-ci, elle nous raconte l'histoire de Lottie : au début, une petite fille de douze ans maligne comme tout et qui n'avait pas ses yeux dans sa poche ; elle a vu un jour passer devant la barrière de sa ferme une "créature à deux têtes" - il faut dire que Lottie est souvent en train de "béer" - un inconnu portant un bébé sur son dos se rendant sans hésiter au domaine des Ardenne. La grande demeure étant vide, les Ardenne et le personnel absents, le voyageur dépose l'enfant, un portefeuille et une timbale d'argent aux initiales FA, et repart emportant un objet.
C'est Lottie qui sera la nounou du bébé grâce à son doigt magique sucé avec ardeur, une petite fille nommée Anaïs, qui d'après Madame Ardenne serait l'enfant de son fils François, parti depuis plusieurs années au Canada ; Lottie a subtilisé une enveloppe contenue dans le portefeuille de l'homme qui a apporté le nourrisson, mais il y reste un papier déclarant la naissance d'une petite Onayepa Anaïs, le 31 janvier 1904 d'une mère "native" décédée et de François "Arden", ainsi qu'une photo montrant un homme habillé en trappeur et son nouveau-né emmailloté, sur le seuil d'une cabane pleine de neige, exactement comme celle de la boule de verre que Lottie avait remarquée parmi les bibelots de la maison.

Insensiblement, au fil des pages, le récit change : c'est Lottie qui raconte et on comprend qu'elle parle à quelqu'un, une amie sans doute, elle-même en train de raconter l'histoire à son conjoint, Abel ; et donc, le lecteur suit en parallèle de celle de Lottie, l'histoire de cette jeune narratrice partie habiter Vancouver, dont la vie va se retrouver étrangement liée à celle de Lottie Carmeaux. Cette jeune femme est venue - ou plutôt revenue - dans le petit village de Mauduit (Franche-Comté) où elle a passé quelques temps enfant ; elle est professeur de géographie humaine à l'université et vient préparer une enquête de terrain à confier à ses étudiants. Elle loge chez une Lottie alors très âgée, qui devant le dîner puis le feu du soir, déroule sa vie, celle d'Anaïs et des Ardenne, tout en prévenant que souvent elle invente et qu'il ne faut pas la croire sur parole.
Mr Fernand Ardenne était un ancien militaire qui vivait dans un asile d'aliénés, et dans la grande maison il y avait à l'époque Mme Vitalie Ardenne qui dirigeait la propriété, deux tantes anciennes religieuses et infirmières venues vivre là, Delphine la principale bonne et le reste du personnel dont Lottie ; et au centre, la petite Anaïs, qui séduit tout un chacun par son charme et sa beauté extraordinaire.
Extrait p 148 : " Il fallait nicher au sein de cette famille et bien observer, comme je le faisais de tout dans cette maison, pour entrevoir que Vitalie ne les (les tantes) tolérait pas par bonté d'âme, que sa mansuétude à leur égard, et la leur envers elle, habillait un commerce sans merci, et sans même connaître à cette époque quel secret les liguait toutes trois, je sentais palpables entre elles les ondes d'un monde parallèle, duquel Anaïs était le centre. Et moi j'avais décidé par gravitation et révolutions successives de m'approprier cette enfant, quitte à la leur voler."

Un médecin est arrivé dans le bourg de Mauduit, le docteur Maître-Grand, dont les enfants (trois garçons et une fille) jouent souvent avec Anaïs ; les enfants grandissent, Anaïs aussi, et peuvent tomber amoureux... et certains révéler alors leur vraie nature.

Mais la spectatrice qu'est Lottie se pose bien des questions : Anaïs est-elle bien la fille de François Ardenne ? Pourquoi François a-t'il fuit si jeune et n'est-il jamais revenu dans sa famille ? Quel secret lie Vitalie à ses tantes ?
Et sa jeune amie, la professeure d'université, s'en pose beaucoup également, en particulier Lottie fut-elle vraiment capable de commettre un meurtre pour garder Anaïs ?
Jouant sur des époques différentes, Anne-Marie Garat fait progresser son récit par les questions que se posent les protagonistes ; un nom revient brusquement à la mémoire de la géographe, Luçon ; une petite ville de Vendée, un cimetierre, elle joue sur une tombe avec des perles. Pourquoi devient-il soudain urgent de s'y rendre, de retrouver ce lambeau de mémoire perdu ? Pour trouver quoi ?

Elle rencontre par hasard à Vancouver où elle est enfin nommée, Abel Maître-Grand, le petit-fils du bon docteur du Mauduit (!) et le fils de Jacques, pionnier de l'éthnologie amérindienne... Jacques, l'amoureux d'Anaïs pendant une période, celui qu'elle a fait tomber volontairement d'un cerisier et qui blessé à vie, n'est pas parti mourrir à la guerre de 39-45 comme ses frères...

 Extrait p 112 : " ... il fallait plisser les yeux pour percevoir quelque détail disséminé dans la profusion du visible et je repensai à la paire de jumelles empruntée à Fernand par Lottie qui lui avait permis, disait-elle, de comprendre qu'on ne voit rien par soi-même si bons soient nos yeux, qu'au contraire l'acuité abuse, qu'il faut parfois l'égarer pour percer au-delà de la réalité, s'évader de soi par quelque ruse, de loupe ou de rêverie, et j'avais en effet le sentiment que le paysage dans sa splendeur cachait d'autres échelles de grandeur, cosmiques et microscopiques, condensées dans ce coin de campagne, l'intégrale présence du monde comprise dans l'accidentel aspect de ce jour."

Il y a énormément de choses dans ce livre foisonnant : nos relations avec notre propre enfance et les souvenirs que nous en gardons, l'accueil de l'autre, de l'étranger, les secrets de famille, les conséquences - encore - des guerres, le mensonge et la vérité, et de l'humour, souvent ; et surtout l'amour de la lecture :
Extrait p 184 : " Le seul aspect des pages imprimées m'évoquait la promesse d'une liqueur forte qui se déversait en moi, assoiffée d'en savourer le liquide, de m'en gargariser, c'était dans ma gorge et dans ma bouche que les mots, les pages faisaient ce bruit de rocaille, de torrent d'eau froissée qui clapote et furieuse s'évade à toute vitesse... et cela allait, allait des heures entières, étourdissantes de lecture."

 Un vocabulaire riche, original et toujours très bien adapté ainsi qu'un style magnifique ( la montée de Lottie à la recherche de la source de la Flane est remarquable) donnent au récit une tonalité très prenante ; recréant tout un monde dans lequel nous sommes attirés et finissons par pénétrer, l'auteure nous libère éberlué(e)s et ravi(e)s à la fin du récit.

Ce serait bien dommage de manquer cette lecture !

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Commentaires
C
J'avais lu aussi "Dans la main du diable" ; c'est vraiment une super écrivaine.
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D
j'ai lu une série d'Anne Marie Garat que j'avais beaucoup aimé à l'époque <br /> <br /> celui là je ne connais pas mais cela me fait penser aux romans d'Hélène Gestern je ne sais pas si tu les as lu, et cela me tente bien<br /> <br /> c'est noté
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