"Celui qui veille" de Louise Erdrich * * * * (Ed. Albin Michel ; 2021)

Prix Pulitzer 2021

Dans le Dakota du Nord, en 1953, ce n'était pas du tout la mode de s'intéresser aux autochtones indiens... Et pourtant la misère, la faim, l'alcool faisaient déjà des ravages parmi les "premières nations" ; le gouvernement fédéral, sans doute pour se débarrasser du problème et pour qu'on n'en parle plus, avait trouvé comme idée d'émanciper les indiens, de les intégrer de force dans le reste de la population. Et on pourrait alors tout oublier, du moins le croyait-il, des vols de terre successifs, des mises à l'écart et autres injustices perpétrées depuis des dizaines d'années.
C'était sans compter avec la détermination des Ojibwés (Chippewa en anglais) qui refusent qu'on "balaye" ainsi les traités précédents et qui se battent contre ce nouveau projet de loi de la "termination".

Celui qui veille est Thomas, qui protège la nuit une usine de pierres d'hologerie, usine qui emploie beaucoup de petites mains indiennes, particulièrement habiles, et qui veille également sur son peuple.
En parallèle, l'autrice nous raconte la vie de sa nièce, Pixie qui veut se faire appeler Patrice ; une jeune femme entre deux mondes, un peu comme Thomas, l'ancien, celui de sa mère, des plantes médecine et des traditions, et le moderne que tous sont bien obligés de cotoyer.

La soeur de Patrice a disparu, alors qu'elle était partie pour la ville, la seule information que possède sa famille est qu'elle a eu un bébé ; Patrice va alors quitter la réserve pour la première fois...

La narration, calme, sans colère apparente, mais d'autant plus forte et percutante, mêle les deux histoires : Thomas ne dort plus guère, travaillant la nuit, et montant un dossier le jour pour défendre son peuple et Patrice jeune fille peu conventionnelle cherche sa soeur dans le monde inconnu des petits malfrats de la ville...

C'est un très beau livre, plein d'humanité, un écrit de la maturité, un regard à distance de ce qu'a pu vivre le grand-père de Louise Erdrich et ses contemporains ; c'est beau, émouvant, parfaitement écrit ; une pierre supplémentaire dans l'oeuvre de Mme Erdrich, et pas des moindres.

Extrait p 105 : " Il était veilleur de nuit depuis plusieurs mois. Au début, ses tâches de président du conseil tribal de Turtle Mountain pouvaient être accomplies entre la fin d'après-midi et le début de soirée. En général, il arrivait à dormir le matin, en sortant du travail, et quand il avait de la chance, comme aujourd'hui, il parvenait même à faire un petit somme supplémentaire avant d'aller travailler. Mais voilà que, de temps à autre, le gouvernement se souvenait de l'existence des Indiens. Et s'efforçait alors toujours de les résoudre. Pour nous résoudre, se dit Thomas, ils se débarrassent de nous."