"La mémoire du thé" de Lisa See * * * * * (Ed. J'ai lu ; première parution 2017)

Quelle histoire ! Parti de presque rien - celle d'une famille d'une province reculée des montagnes en Chine - le récit s'ouvre et s'amplifie pour devenir quasiment universel et réunir des personnes séparées par des superstitions ancestrales et des croyances née de l'ignorance...

Le début est assez terrible : l'extrême pauvreté de paysans du peuple minoritaire Akha, des injonctions venues d'un état tout puissant qui s'adaptent peu aux différences éthniques, l'avidité de certains, la domination totale des hommes sur les femmes...  tout concourt à isoler, fragiliser, maintenir sans instruction cette communauté.

L'héroine est une toute jeune femme dont le début de vie prometteur - elle est la première à faire des études - est gâché par des habitudes et rites souvent nés de méconnaissances et de sottise ; mais comme dit l'un des personnages plus tard dans le livre, qui sommes-nous pour juger de ces choses ? 
Toujours est-il que Li-yan va se battre et profiter de la formidable opportunité qu'offre l'engouement pour le thé du Yunnan et en particulier le Pu'er, au tout début des années 2000. Elle réussira à se construire une vie intéressante, à avoir un métier qui lui fera faire de nombreuses rencontres, à voyager ; mais elle aura dû abandonner son premier enfant dans un orphelinat très douteux...

C'est cette histoire que l'on suit, vue du côté de Li-yan et de celui sa fille Haley qui a été adoptée par un couple de chercheurs américains ; Haley va vivre les difficultés des nombreuses filles d'origine chinoise adoptées dans les années 80-90 .
Mère et fille biologiques se cherchent et peuvent avoir des chances de se retrouver bien que cela soit très difficile, car Haley est irrémédiablement attirée par tout ce qui concerne le thé, en particulier celui du Yunnan.

C'est un récit bien mené et bien écrit, formidablement instructif sur la vie des adoptées et leurs familles chinoises d'origine, ainsi que sur cette consommation universelle qu'est le thé ; enthousiasmant et passionnant !
À lire en dégustant une bonne tasse de thé du Yunnan.

Premières phrases : " Pas de coïncidence, pas d'histoire, scande mon a-ma. Comme toujours, cela semble mettre un terme à la discussion quand Premier Frère finit de nous raconter le rêve qu'il a fait hier soir. J'ignore combien de fois ma mère a utilisé cet aphorisme élogieux au cours des dix années que j'ai passées sur cette Terre. De même, j'ai l'impression d'avoir entendu différentes versions du rêve de Premier Frère de nombreuses fois. Un pauvre paysan porte des navets fraîchement cueillis au marché pour les échanger contre du sel. Il fait un faux pas et tombe d'une falaise. Cela aurait pu se older par une mort terrible loin de chez lui - le pire qui puisse arriver à un Akha - mais il attérit dans le champ d'un riche marchand de sel..."